Léo Ferré - A propos de La Chanson du Mal-Aimé

A propos de La Chanson du Mal-Aimé

Autoportrait de Léo Ferré
extrait du "roman des vedettes" d'Europe N°1
émission du 28 janvier 1961

" Voilà, notre rendez-vous se termine ce soir et je ne saurai le clôturer sans vous avoir parler de ce qui me tient le plus à coeur, ce peut-être pourquoi je suis né, ce qui fait ma vie, ma passion, ce pourquoi rien d'autre n'a d'importance : la musique.

Je sais faire des chansons, heureusement, comme un bottier fait des chaussures mais mon royaume c'est la musique. Elle et moi, nous nous connaissons depuis fort longtemps, depuis que le monde des sons est ce qu'il est, étrange no man's land, étrange terre sans homme où le temps n'existe pas, où l'amour se fait avec les violons dans des lits pleins de fleurs toujours épanouies, des fleurs de hautbois, de cor anglais, de harpe généreuse, de cuivre toujours ébloui, comme des soleils sans semaine toujours à la fête.

Le musicien est à la fête, seul, devant sa page quand les oiseaux viennent piquer à sa vitre et lui donner le chant secret qu'il va transcrire pour lui seul, à moins qu'un jour, d'autres oiseaux noirs avec une cravate blanche, un dimanche après-midi à Paris, à cinq heures, salle Pleyel, réinventent ses cris de solitude et jouent, et jouent. Un musicien joué est un musicien qui a rempli sa tâche, alors il peut mourir.

J'ai écrit de la musique, j'en écris toujours, j'en écrirai jusqu'à ma mort. C'est une maladie, c'est un vice, c'est un devoir, et oui, c'est un devoir parce que pour les joies, et bien, autant repasser.

On écrit parce qu'il le faut, parce qu'on est fou, têtu, parce qu'on croit au père noël Charles Munch, au père noël Karajan, au père noël Lamoureux, le dimance après-midi, cinq heures, salle Pleyel et qu'au fond, ça n'existe pas les pères noëls, parce que les pères noëls chefs d'orchestre n'ont plus de hotte, plus rien, sinon leurs dos qu'ils soignent le mieux possible et qui se noieraient dans le ruisseau de la Pastorale plutôt que de faire un bout de chemin avec un inconnu qui descend de sa mansarde avec des tonnes de musiques silencieuses.

J'ai écrit un oratorio sur La Chanson du Mal-Aimé de Guillaume Apollinaire. On en a fait un disque ou plutôt j'en ai fait un disque où je dirigeais moi-même l'orchestre national. Tant qu'à faire, je tiens à être mon propre père noël.

Le disque est épuisé, retiré du catalogue et ses voix du ciel, je voudrai vous les faire écouter pour le dernier soir, des voix venues d'ailleurs et qui vont bientôt y retourner.

Pour la vrai musique, je crois, il faut mourir, en attendant, merci de m'avoir permis de rentrer chez vous, chaque soir, depuis quinze jours. "

--------- Pour ne pas oublier: "AUTOPORTRAIT DE LEO FERRE"Le roman des vedettes : ------------

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" C'est au fond très amusant de parler de soi. On s'aperçoit qu'on est un sujet inépuisable (...) Ce soir, Europe 1 est mon confessionnal. "
La voix est encore jeune ; le débit, plutôt rapide ; le style, une sorte de littérature à l'estomac. On est en 1961, et, à l'occasion d'un autoportrait pour l'émission Le roman des vedettes, Léo Ferré lance ses mots comme on décoche des flèches. Sur la cible, elles dessinent les contours d'un homme blessé par son enfance, rétif à l'autorité, amoureux de la musique et, surtout, infiniment lucide. À l'occasion du 20e anniversaire de la mort du chanteur anarchiste, la rediffusion de cette confession chez Thierry Lecamp, le vendredi 5 juillet, faisait l'effet d'une lame étincelant au soleil : vive, franche. Loin, si loin de ce qui, aujourd'hui, ressemblerait à un exercice promotionnel vil et vide.

Télérama.fr
Le monde de Léo Ferré - Aude Dassonville 5.07.2013

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