WORDS... WORDS... WORDS...


A l' occasion de la sortie du disque "Charles et Léo" Olivier Maison écrit : "Poussé sans doute par une dépression nostalgique, un vent de révolte soufflera bientôt sur la chanson : Ferré n'a plus besoin de ses papiers pour déambuler dans les rues de la notoriété.

Les Rita Mitsouko, à la sortie de leur dernier album, osèrent en faire leur référence absolue : "Un monument" . On le savait mais on feignait de l'ignorer.(1)"

Cette dernière petite phrase, ignoble lorsqu'on la comprend bien, résume à elle seule ce que les médias ont fait subir à Léo durant toute sa vie.

Mais, ce n'est pas fini pour autant.

La presse unanime, ayant encensé le disque de Jean - Louis Murat, se sentit obligée de critiquer Léo Ferré :

Tout d'abord sur le support audio choisi :

Ludovic Basque ("Baudelaire Ferré et Murat" - R. F. I. musique le 9.10.07) :
"ça pourrait ressembler au programme d'une déprimante veille de bac de Français; Jean-Louis Murat chante et arrange douze poèmes des Fleurs du Mal de Baudelaire mis en musique par Léo Ferré sur une vieille cassette audio."

Eric Mandel ("Murat :"Baudelaire était un poète pré-freudien" Le J.D.D.fr le 6.11.07) :
"Avec son album "Charles et Léo", Jean-Louis Murat chante douze poèmes des "Fleurs du mal", mis en musique par Léo Ferré sur une vieille cassette audio.

Voyons de plus près ce que représentait cette cassette pour Léo et sa famille:

Les copains d'la neuille (2) :
"Venons-en à la fameuse cassette Baudelaire, celle qu'Alain Raemakers appelle "la cassette faite à Marie "
Mathieu : Un jour, Léo a donné une cassette à ma mère en lui disant : "C'est ton héritage, tu en feras ce que tu voudras" Il s'agit de dix-huit poèmes de Baudelaire mis en musique et interprétés au piano par Léo. Deux titres sont connus : Je te donne ces vers et l'examen de minuit/ Dorothée(3). Parmi les inédits, il y a le vampire, la fontaine de sang, avec ses vêtements..."

Ensuite sur sa musique :
Elle fut réduite à l'état de bribes ou d'ébauches au choix :
Isabelle Monnart ( Baudelaire + Ferré = Murat -La dernière heure du 11.10.07) :
"Sur des bribes de musique signées Léo Ferré, composées autrefois, l'Auvergnat a ajouté son empreinte et ses arrangements."

Bruno Lesprit ("Les fleurs du mal façon Murat "-Le monde du 2.10.07) :
"A l'origine du projet, des musiques, souvent des bribes, posées par Ferré sur les vers baudelairiens avec un piano et un dictaphone."

André Velter (150e anniversaire des "Fleurs du mal"- Gallimard le 2.10.07) :
" A partir de mélodies laissées par Léo Ferré à l'état d' ébauches, Jean-Louis Murat s'est livré à un exercice délicat, exigeant et quasi funambule, celui qui impose d'être fidèle en toute liberté."

V2 (Maison de disques de J.L.Murat) :
"Ce travail sera laissé à l'état d'ébauches par Ferré qui confiera ses mélodies à son épouse et à son fils Mathieu en leur disant simplement "vous en ferez quelque chose"

Mathieu Ferré nous en donnait pourtant une version bien différente (Nouvel Observateur du 10 au 16.07.03) :
"N. O. : Est-ce qu'il reste beaucoup d'enregistrements inédits ?
M. Ferré : Je pense sortir prochainement une vingtaine de poèmes de Baudelaire et d'Apollinaire mis en musique par Léo et enregistrés en piano - voix. Ce ne sont pas des brouillons. Deux d'entre eux d'ailleurs figurent sur"On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans". Ceux que nous possédons sont de cette qualité-là. Je ne compte pas les garder pour moi."

Et pour finir sur son interprétation et sur sa manière d'appréhender l'oeuvre de Baudelaire :

Bruno Lesprit (" Les fleurs du mal façon Murat - Le monde du 2.10.07) :
" Dans un bel écrin dû aux graphistes M/M, l'interprétation se défie de l'emphase et opte d'emblée pour la légèreté, l'éther pop. "

Philippe Lançon ("Murat féru de Baudelaire" - Libération du 1.10.07) :
"Discours daté : poète maudit réduit au petit feu bourgeois. C'est ainsi que Ferré chante Spleen, L'Albatros, avec frémissements rhétoriques dans la voix. Trop sentimental et discursif, il efface la perversité de Baudelaire, cette manière qu'il a de jouir avec une souffrance comprise, assimilée, une mélancolie poisseuse et directe. Le haut-parleur manque de buée.
.../...
Murat affirme qu'il n'a pas réécouté les disques de Ferré, "je voulais m'en détacher". Il est plus juvénile, moins emphatique, toutes fleurs de rhétoriques coupées."

Le blog de Pierre Assouline ( La république des livres 20.10.07) :
"Il le chante non comme Ferré, trop lyrique, mais comme Murat en le rendant aussi à sa perversité et à sa mélancolie."

Il est vrai que nous ne sommes plus en juillet 1993, le mois où l'on pouvait lire :
" Léo Ferré aura quand même réussi à populariser Baudelaire, ce qui n'était vraiment pas acquis d'avance s'agissant d'un poète aussi difficile. Si Baudelaire arrive désormais premier, et de loin, et depuis plusieurs années au hit-parade des auteurs les plus appréciés dans les sondages en France c'est grâce à sa mise en musique par Ferré .../...
Il faut entendre de quelle façon étonnamment lancinante et incantatoire il habille toute la série de poèmes qu'il a tiré des " Fleurs du mal " " (4)

Jean-Louis Murat, de son côté, n'a rien fait pour aider Léo, bien au contraire.
Morceaux choisis :

Le Bateau livre (France 5 le 25.10.07) :
" F. Ferney : Est-ce que Ferré avait au fond la même vision que vous ? Est-ce que Ferré n'a pas une autre vision de Baudelaire ?

J. L. Murat : Non, il le voyait un peu comme on le voyait dans les années 50 c'est à dire effrayer le bourgeois, il en était resté un peu à cette idée là, que Baudelaire effrayait le bourgeois alors maintenant çà parait un concept complètement absurde puisqu'il n'y a plus à effrayer le bourgeois puisque le bourgeois n'a plus peur de rien

F. Ferney : C'est qui l'ennemi aujourd'hui, si ce n'est plus le bourgeois ?

J. L. Murat :c'est sa femme, je crois, la bourgeoise, il est temps de devenir misogyne et d'attaquer la petite bourgeoise."

L'Express (11.10.07) :
J. L. Murat : Léo Ferré est un mec du XIXème siècle que l'on est bien obligé de rencontrer un jour ou l'autre, car il reste un maître : il n'y a rien à jeter dans La mémoire et la mer, son chef-d'oeuvre. J'ai toujours été un grand fan, même si je n'ai jamais adhéré à ses idées politiques. L'anarchie selon Ferré, c'est Bagdad. Je l'ai rencontré une fois, quand j'étais gamin. Il passait en concert à Clermont-Ferrand, des anars bloquaient la rue et il s'est senti obligé de se justifier d'avoir un chauffeur. A sa place, j'aurais foncé dans le tas."

Le Nouvel Observateur (18.10.07) :
J. L. Murat : J'ai chanté Béranger, mais je déteste les gens qui manifestent leurs idées politiques dans leurs chansons. Quand tu écoutes les interviews de Ferré ou de Brassens, tu hallucines. Ils sont contre l'armée, contre la police, contre le truc et le machin. Qu'est-ce qu'ils veulent avec leur anarchisme de droite ? "

Ses petites phrases assassines nous renvoient l'image caricaturale tant affectionnée par les médias et en rajoutent une nouvelle : celle du mec du XIXe siècle !!!

Et maintenant voyons comme il parle de la famille Ferré:

Le Soir (24.10.07 interview de Thierry Coljon) :
La famille Ferré a donc estimé que vous étiez le fils spirituel de Léo ...
J. L. Murat :Oui, ils se sont demandés qui pouvait le mieux porter cette oeuvre. J'ai attendu trois ans avant de me décider et de leur répondre. J'ai croisé Mathieu à plusieurs reprises, puis un jour , il m'a parlé de l'héritage de son père. Des inédits et des 150 ans des Fleurs du mal. Pendant tout ce temps, j'ai fait la sourde oreille. J'avais autre chose à foutre. Et puis, il fallait mettre les choses au point, poser mes conditions. Je leur ai dit que si je faisais un disque, c'était pour qu'il se vende; Qu'il fallait que ce soit du Murat. Avec ma patte. D'autre part, on ne vient pas m'emmerder quand je travaille. Je leur ai dit : "Vous écouterez le disque quand il sera fini." Ils ont accepté toutes mes conditions.
Que pensent-ils du résultat ?
J. L. Murat :Je ne sais pas, et je m'en fous un peu, à vrai dire. Ils ne pouvaient pas dire autre chose que : c'est super. "

On ne peut que rester sans voix devant un tel mépris...

Et pour finir notre lecture, sur Pinkushion (le webzine des autres musiques le 23.10 .07) : " A noter que si Murat passe pour un antipathique, il n'en est pas moins généreux. " Charles et Léo " est livré avec un DVD enregistré live mais sans public à la coopérative de Mai de Clermont-Ferrand. "

Cela nous amène à nous demander, pourquoi J .L. Murat que l'on dit être si généreux n'a pas eu l'idée d'inclure dans son DVD un poème de Baudelaire chanté par Léo ?
Car, contrairement à ce que tous les médias ont l'air de sous-entendre, Léo n'est pas aussi connu que Brel ou Brassens, et reste pour bien des gens l'auteur d'" Avec le temps".
Une petite ouverture sur un autre public , le public de Murat en premier lieu, aurait été bien venue...

En conclusion, tout cela démontre, une fois de plus :
- le manque de considération des médias vis-à-vis de Léo et de son oeuvre
- le manque de connaissance aussi, car personne n'a remarqué que deux des poèmes enregistrés par J. L. Murat (L'examen de minuit et Bien loin d'ici (5) avaient déjà été enregistrés par Léo sur l'album " On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans"
- le manque de curiosité enfin, car personne non plus, n'a demandé si cette cassette serait disponible en CD...

Et si, comme Marie-Anne Georges dans La libre Belgique (6), on évoque cet éventualité, J. L. Murat a déjà la réponse toute trouvée :

- " Au printemps prochain, Mathieu Ferré compte sortir les versions de son père.

- "Grosse erreur ", observe Murat. " Ce n'est pas rendre hommage à son père. Ce sont des cassettes de travail où Ferré hésite, se trompe, se reprend, change de tonalité. Je ne voudrais pas qu'on me fasse çà." "

Nous espérons que Mathieu ne se laissera pas influencer par ces propos et qu'il continuera à nous donner ces versions inestimables, ces témoignages superbes d'un homme qui chante tout seul à son piano " loin des imbéciles et du propos courant (7)" .

A lire, à voir, à écouter tout ceci, nous monte dans la gorge une phrase de Léo, une seule :

"WORDS... WORDS... WORDS...


DE QUOI DEGUEULER VRAIMENT"

(8)

Ce billet d'humeur, évidemment, n'engage que nous.
S.C.L.





(1) Marianne, article " Murat, tes papiers !" semaine du 6 au 12.10.07
(2) Rencontre avec Mathieu Ferré printemps- été 2002
(3) Bien loin d'ici
(4)Globe Hebdo du 21 au 27.07.93 " Baudelaire enferré" par Laurent Dispot
(5) Dorothée
(6) La libre Belgique du 16.10 .07 " Murat poursuit sa quête "
(7) Et basta ( Léo Ferré )
(8) Word... Words... Words...( Léo Ferré)

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