Léo Ferré - CABARET
Extrait du livre : "Comme on s'aimait à Saint-Germain-des-Prés"
récit : Daniel Gélin

" Malgré mon goût pour la convivialité, j'avais besoin de plages de solitude. C'est ainsi que, seul, j'eus une révélation qui restera pour moi l'une des plus importantes de cette période.

J'allais écouter Léo Ferré dans un cabaret minuscule. J'adorais ses chansons et sa musique. Il était très différent des autres et ne se mêlait pas à ces groupes d'intellectuels.Tout me fascinait en lui, et notamment l'harmonie totale entre ses mélodies et ses paroles, un peu "amères" comme il se devait, mais d'une tendresse énorme pour tout le monde.

Son physique était ingrat, ses yeux clignotaient derrières ses lunettes de myope, il avait des tics, une voix mal assurée, mais il me comblait de bonheur. Il m'avait repéré, il savait que je l'écoutais. Je connaissais les paroles de ses chansons par coeur. C'est lui qui fit la première belle chanson sur le Quartier.

Il n'était pas apprécié à sa juste valeur, il était plus que maladroit et dépourvu du charme à la mode. D'ailleurs, il ne faisait rien pour plaire, il n'était soucieux que de son art et revendiquait sa tendre anarchie. Au fond, nous étions sur la même longueur d'onde. Plus tard, dans un petit restaurant situé au bout de la rue Saint-Benoît, aux Assassins, Léo imperturbable chantait au milieu des conversations animées et des bruits divers. Seul à ma table, je l'écoutais :

"L'île Saint-Louis en ayant marre
D'être amarrée au bout du quai
Elle avait rompu ses amarres
Ayant envie de naviguer..."

"J'habite à Saint-Germain-des-Près
Et chaque soir j'ai rendez-vous
Avec Verlaine..."

"Ils marchent dans l'azur la tête dans les villes
Et savent s'arrêter pour bénir les chevaux
Ils marchent dans l'horreur la tête dans les îles
Où n'abordent jamais les âmes des bourreaux..."

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