Léo Ferré - cahier d'études n°3

Léo Ferré, les peintres et les photographes.... par Charles Szymkowicz

extrait de "Cahiers d'études Léo Ferré n°3 : De toutes les couleurs"


L'art c'est les larmes " disait Léo Ferré, lui qui un jour dans un musée avait pleuré devant une toile de Vincent Van Gogh. Léo Ferré était envahi et bouleversé jusqu'aux larmes par la vérité transfigurée, la fulgurance visuelle du peintre fou de mélancolie et de soleil.

le magistral art poétique et musical de Léo Ferré ne pouvait donc pas avoir les yeux fermés sur les arts dits plastiques. La peinture, le dessin, la gravure, la sculpture, la photographie trouvent en son oeuvre les fameuses correspondances chères à Charles Baudelaire. Ou plutôt le chant d'amour des mots et de la musique de Léo Ferré porte en ses portées illuminées les ferments profonds des arts nés de la lumière, sur la plus haute tour de son génie protéiforme.
L'oeuvre immense de Léo Ferré en témoigne.

Les plus grands créateurs d'images, de formes et de couleurs viennent souvent visiter les flamboyantes clameurs du poète en proie aux visionnaires créateurs de tous les temps. Vincent Van Gogh, Léonard de Vinci, Odilon Redon, Auguste Renoir, Théophile-Alexandre Steinlen Antonio Pisanello, Honoré Daumier, que Léo Ferré a souvent cités, sont ses frères humains et d'imaginaire.

L'invention et la puissance d'évocation de sa musique et de ses mots font jaillir en nous des compositions littéralement visuelles où lignes baroques et construites, matières tactiles, reliefs magiques et éclairages choisis nous pénètrent comme si vraiment nous les touchions des yeux, posant nos doigts sur la trame ultra sensible de la toile.

"Le graphisme c'est un peu la musique du papier. Les lettres chantent, des fois et les yeux à l'écoute les prennent dans la gorge. Tout se rejoint..." écrit Léo Ferré en 1970 à Charles Szymkowicz dans le premier des textes que le musicien-poète consacre au peintre-dessinateur.
Il nous semble que des oeuvres comme a Mémoire et la Mer, Cette blessure, Words... words... words..., Allende ou Requiem ne peuvent être produites que par un artiste pour qui notes, mots et rythmes signifient aussi clair-obscur, soleil, relief, profondeur de champ, à fleur de peau.

Le sentiment profondément romantique, dramatique, révolté et sensible, jusqu'aux larmes de l'oeuvre de Léo Ferré rencontre ce qu'il y a de plus enfoui, de plus secret et de plus frissonnant dans l'oeuvre d'art du peintre, du sculpteur, du dessinateur, du graveur, et plus tard du photographe. Il contient les germes les plus féconds, les plus subtils et les plus envahissants de l'âme humaine.

Des artistes contemporains ont aussi travaillé avec et pour Léo Ferré, soit en lui confiant ponctuellement leurs images avec la plus grande ferveur, soit en collaborant plus étroitement avec lui sur des projets plus particuliers. Citons entre autres parmi les peintres et dessinateur : Serge Arnoux, Olivier Bernex, Maurice Frot, Octave Landuyt, Jacques Pecnard, Roger Somville,Charles Szymkowicz, Laurent Zunino.

Ces rencontres fusionnelles ont donné naissance à des créations extrêmement riches de correspondances littéraires et picturales, chacun des deux créateurs gardant sa plus profonde individualité (ainsi de Ferré chante Baudelaire et de Je parle à n'importe qui illustrés par Charles Szymkowicz).

Mais également de très nombreux photographes ont accompagné l'oeuvre de Léo Ferré. Parmi eux, citons : Hubert Grooteclaes, Alain Marouani, Roger Pic, Patrick Ullmann, Geneviève Vanhaecke, Francis Vernhet, André Villers. Tous ont déposé sous ses mots et ses partitions un damier sans fin.

La photographie effectivement illustre fort les innombrables correspondances entre les lumières (pas d'ombres sans lumière) de la poésie, de la musique, de la voix, des voix, des orchestrations superbement lovées et percutantes de Léo Ferré. Ainsi chez André Villers, il y a la lumière sur la matière, le tissu des vêtements et des lieux, la matière des cheveux, des sourcils, du verre des lunettes, des champs de broussailles, des collines, des pierres toscanes, la matière des yeux , de la peau, des ruelles,des machines à écrire les mots, la matière des odeurs d'encre et des senteurs de raisin noir.
Chez lui, le noir et le blanc rencontrent le choc des mots de Ferré.

Hubert Grooteclaes est, quant à lui, le photographe visionnaire de l'image rêvée tant réelle que surréelle, où une certaine idée du flou artistique vient semer le trouble dans la vision humaine.
Ce que l'on voit est souvent au-delà de ce qui est montré, à travers le filtre d'un poète avec ses appareils prompts à faire chanter la nostalgie. Métamec, collaboration parfaite entre Grooteclaes et Ferré, est un poème de la nostalgie, de l'enfance, de la lueur, de l'horizon infini, un éloge de la femme et - osons le dire - un code de conduite pour l'amour éperdu, un regard sur la mer et sur les raisons d'être du poète, sur le monde à réinventer.
Dans une autre collaboration, L'éternité de l'instant, il y a croisement, rencontre et fraternel filigrane entre une fantastique symphonie de mots, poésie suprême, et photographies.
Qu'y voit-on ?
Un banc avec dos de vieilles personnes, dindons avec maison de pierre, superbe jeune fille devant un mur de lierre, un chimpanzé, une route vers le silence, un mime au yeux profondément obscurs, un regard d'enfant, une ville et l'ennui, une femme très douce, et Léo Ferré avec un chien devant ...
Magistrale réussite du dialogue, mots et images entrelacés.

"L'éternité de l'instant", cette expression même de Léo Ferré, cette formule magique définit à elle seule la force de l'image arrêtée de la photographie quand celle-ci a été prise avec le regard de l'artiste. L'éternité de l'instant, c'est la raison d'être de l'Art, quand il est authentique, quand il est le témoignage souvenir de notre passage sur la terre.

Page suivante