Léo Ferré - cahiers d'études n°9

extrait de "Cahiers d'études Léo Ferré n°9 : AMOUR ANARCHIE"


Dès que tu aperçois la pochette dans le bac d'un disquaire, ces lettres jaunes sur fond marron, tu es saisi. Il y a là formulé ton idéal, les valeurs sur lesquelles tu veux édifier ta vie. Tu as dix-sept ans. Nous sommes deux ans après mai 68. Qu'il faille faire la Révolution ne pose pas question : c'est une évidence. Le monde ne peut pas continuer avec ses guerres, ses famines, l'exploitation des uns par les autres, la morale étroite des bourgeoisies occidentales, partout la loi du profit, de l'oppression, rien qui ressemble à la vie, au bonheur d'être, à une existence pacifiée, dans la fraternité d'une société mettant l'individu en son centre au lieu de l'asservir à l'économie, à l'Etat.

Nous voulons aimer, d'un sentiment de bienveillance les humains, aimer sentimentalement, sexuellement les femmes, rendre hommage à la beauté, à la force de vie qui traverse les plastiques. Nous voulons vivre dans une société sans Etat, sans hiérarchie, raisonnablement organisée, en individus autonomes responsables, désirants.

Nous voulons partager les biens, les richessses, les corvées, le savoir.

Nous sommes quelques-uns au lycée à lire Proudhon, Bakounine, Stirner, "L'anarchisme" de Daniel Guerin. Nous en discutons avant les cours, après, parfois âprement. Nous sommes susceptibles : il faut dire que l'enjeu est de taille, il en va de rien moins que de la marche du monde, du sens de la vie.

Aussi quand en lettres peintes jaunes sur fond de vis brunâtres, au-dessus de la mention informative, également en lettres jaunes, mais plus petites, "Ferré 70" vol.2, tu captes les mots "Amour Anarchie", un seul A pour les deux mots, indissociables, tu frissonnes.

Ce qui est exprimé là c'est la formule même de la vie.

Page suivante