Léo Ferré - cahiers d'études n°7


"Marseille sans Léo
n'est plus tout à fait Marseille"
par Olivier Bernex

extrait de "Cahiers d'études Léo Ferré n°7 : Marseille"
Dessin olivier Bernex



Si Paris vaut bien une messe, Marseille vaut bien une chanson, et quelle chanson ! Cette ville rebelle qui résiste encore à tous les vents, née avant toutes les autres, révoltée attachante, avec ses communards, les frères de Léo, enfermés au château d'if... On l'aime ou la déteste.

Aimée passionnement, découverte au Toursky, la chanson Marseille m'a toujours bouleversé. Déjà, celle de Peille était très émouvante : imaginer Léo, le Parisien des années Saint-Germain- des-Prés, rentrer chez lui, solitaire dans les rues désertes d'un petit village silencieux, où l'attendent Marie et les enfants !

Emporté par ce souffle, cette frénésie, submergé par ce flot tumultueux, torrentiel, ces flux et reflux comme les vagues dont l'écume s'abandonne peu à peu sur le sable mouillé, puis s'efface laissant son empreinte profondément nous envahir, s'imprimer. Portes de l'Orient, les longs voyages, l'exotisme baudelairien, les colonies, l'âme marine, le mélange des civilisations méditerranéennes, elle nous rapproche des émigrés, des gens d'ailleurs, de "là-bas"... De nulle part ! Des "bateaux perdus".

Ne sommes-nous pas des exilés de notre propre vie ? Cette chanson ne se veut-elle pas fédératrice ? Dans l'univers ferréen, mélange d'amour, d'anarchie, de poésie et de musique. Marseille et ses représentants ne l'ont jamais ressenti, ils n'en ont jamais voulu. Il en était meurtri. Pourtant, cette déclaration d'amour est le plus beau cadeau offert aux Marseillais.

Tout comme à Florence on imagine Dante, on s'attend à voir apparaître, à la Conception Rimbaud, puis Artaud, descendant les escaliers de la gare Saint-Charles, Apollinaire, et maintenant autour du Toursky rôde Ferré. Léo aimait Marseille passionnément, de toute son âme, d'un amour brûlant avec une souffrance d'amoureux transi, qui se rapproche du désespoir de l'amant délaissé, épris d'une beauté insaisissable, dont le coeur ne serait pas à prendre, il appartient à tout le monde. Et puis la belle se transforme peu à peu, perd de sa superbe avec le "Nord sur son dos", devient triste. Ville maudite peut-être ? Fatale sûrement !

Léo aimait venir tout particulièrement à Marseille, il avait une passion pour le théâtre Toursky situé dans un quartier mal-aimé, et son fondateur, l'ami Richard, le Niçois, le "copain de la neuille". Le théâtre lui doit beaucoup. Il faut le dire, si à Marseille on ouvre souvent les bras, on ne les referme pas si facilement une fois que cela est fait. Cela devient une certitude. De là sont nés mes travaux avec et sur Léo Ferré, avec méthode . Léo était cet homme solide comme un roc, fidèle comme le soleil à la terre. Cette foule grouillait aux grands soirs des spectacles de Ferré. Je n'avais connu cette contagieuse fièvre collective que lorsque, veilleur de nuit dans une station-service proche du stade Vélodrome, les supporters de l'OM, anges ou démons, déferlaient de tous côtés pour célébrer le dieu ballon.

Finies les années Ferré.
Marseille sans Léo n'est plus la même.
Mais avec Léo cela recommence avec la chanson.

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