Léo Ferré - Léo Ferré face à son époque

Léo Ferré face à son époque

entre musique contemporaine et enregistrement

Extraits de l'article de Jean-Baptiste Mersiol
L'éducation musicale
N° 545/546

Au XXème siècle, la musique tonale, aux légères dissonances de septième, neuvième et autres, semble avoir été supplantée par la musique contemporaine. Mais nous pouvons aujourd'hui nous rendre compte qu'il y avait encore des possibilités d'innovation, et c'est peut-être ce que Léo Ferré a fait sans le savoir. En fait, il a exercé une continuité de cette dissonance en écrivant sa musique d'arrangement. Maurice Fleuret y voyait, en 1975, un arrangement musical "industriel" et "hollywoodien", car il est vrai que la musique de variétés propose des arrangements souvent ornés de légères dissonances. Ce que ce musicologue n'a peut-être pas remarqué à l'époque, c'est que Ferré a toujours écrit de cette manière - déjà en 1954 dans La Chanson du Mal Aimé, mais aussi à travers les chansons du début de sa carrrière où l'on ressentait déjà cette écriture.

Maurice Fleuret condamnait aussi le manque de cohérence, lorsque Léo Ferré enchaînait ses oeuvres avec celles de Ravel et Beethoven lors de son spectacle au Palais des Congrès de Paris en 1975, or à l'écoute des orchestrations de Ferré, on voit bien qu'elles s'inscrivent dans la continuité de celles-ci, incluant le même développement stylistique, évoquant même l'idée de prolongement musical.

Il est important de relever que Ferré a apporté quelque chose de plus à la chanson. En 1975, après son passage au Palais des Congrès, les critiques lui demandent ce qu'il apporte à la musique classique ou à l'ouverture de Coriolan de Beethoven, mais ne se demandent pas ce qu'il apporte à la chanson. Lui, qui a cassé ses formes traditionnelles y introduisant un orchestre symphonique ainsi que des choeurs, ne semble pas attirer plus d'attention sur son pari fou et réussi : celui de pouvoir enchaîner musique populaire et savante.
Lorsqu'il orchestre ses chansons en 1973, L'espoir et Les Amants tristes ont une dimension symphonique et restent cependant des chansons.

Léo Ferré n'a jamais été condamné par les critiques pour avoir orchestré ainsi ses "chansons", mais, lorsqu'il dirige de la musique classique, on lui dit qu'il n'a pas à le faire. Il y a fort à parier que la critique ne sait pas que Ferré orchestre et dirige lui-même ses oeuvres. Maurice Fleuret s'était lui-même trompé dans "L'homme en question" (1977) en ignorant que le compositeur faisait lui-même ses arrangements.
Il s'excusait d'avoir pensé que Léo Ferré s'était fait fournir les orchestrations.

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Conclusion

Léo Ferré fait figure d'exception dans la musique française. Reconnu comme poète et chansonnier, il n'en demeure pas moins un grand compositeur. S'il passe de la chanson à la musique savante, sa fermeture à la musique contemporaine n'est pas complète. S'il casse les formes traditionnelles de la chanson, il propose une ouverture vers une musique tonale savante parsemée de combinaisons contemporaines notamment dans le domaine du temps. La question du temps passe aussi, chez Léo Ferré, par celle de l'enregistrement sonore avec lequel il préfère garder ses distances, bien qu'il le pratique tout au long de sa carrière et qu'il emploie les bandes lors de ses concerts.

Léo Ferré est un compositeur en avance sur son temps ; par son décalage et son refus de faire comme les autres, il fait figure d'exception. Bien qu'il soit surtout connu grâce à sa musique, il n'est pas que compositeur : il propose aussi des réflexions sur le monde musical. Là aussi, il fait figure d'exception en avançant des idées visionnaires que l'on retrouve dans les textes de ses chansons."

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