Léo Ferré -  Ferré à Montréal

Ferré au Québec

article de Jean Bélanger
Extrait de la revue Chansons d'aujourd'hui mars-avril 1986


Au micro, au piano, sans micro, seul, avec une "bande", frappant dans ses mains, claquant du talon, à la tête de l'orchestre, dans les mots, dans la musique, Ferré, le magnifique, piaffe. De rage, d'amour. Dans la première partie surtout. Il hurle, tête blanche, costume noir, comme un chien, à la mort, la supplie, cette camarde maudite, de ne venir que plus tard. Il tente de la séduire, de lui faire une place à son côté, dans une blessure, dans un sexe qui saigne à sa grappe. L'amour et l'anarchie. C'est le Ferré qu'on connaît bien.
Il ne chante que ses textes, sauf deux Apollinaire, un Baudelaire et un vieux Rutebeuf, poètes du "lointain" pourrait-on dire. Pas d'Aragon, pas de Caussimon. Rien que du Ferré. Trois heures de lui. Toute une vie.
Ceux qui ont cessé d'écouter Ferré en 70 auront préféré la première partie. Ce fut le lot des "journaux-pansements". Les autres, ceux qui l'ont suivi tout au long de ses longues mélodies intérieures, celles d'après 70, ont été conquis et envoûtés par la seconde.
Ferré n'a pas cessé d'être, ni d'inventer. Et de le voir à la tête de l'orchestre, de l'entendre, en même temps, dire ses textes, dans des plaintes, des hurlements, doux, violents, c'était voir le grandiose Ferré de maintenant, celui qui évolue toujours, qui avance.
On sent bien que Ferré se fait enfin plaisir. Il fait de la musique. Ce n'est plus "La poésie est dans la rue", mais "dans la rue, la musique". Lui, qui a toujours rêvé d'être musicien s'offre enfin l'immense plaisir de diriger sa musique. Et bien plus.
Dans sa trajectoire, Ferré est passé du temps où il mettait sa musique sur des paroles à celui où il met des paroles sur de la musique, sur Beethoven. C'est bien là le sens de la structure de son spectacle qui se clôt sur cet achévement grandiose. Après, il n'est pas possible de faire de rappel.

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