Léo Ferré - La faute à Ferré

La faute à Ferré

Livre de Lionel Bourg
Edition L'Escampette
2003

Extrait

" J''étais apache, Léo.
Je n'étais rien.
J'avais des scalps hirsutes pendus à ma ceinture, et je dansais, je dansais, tu pouvais bien te teindre les cheveux couleur corbeau, la neige recouvrait le bitume, maintenant, maintenant, implorais-je, n'attends pas, hier c'est demain, vautre-toi dans le givre, ni une ni deux la crinière en bataille, gueule, chante, dépasse les bornes, je suis là, je te suis, cogne, frappe, effleure, explose, déborde, gémit, gronde, ils baveront, les porcs, ça ne manque pas...
ceux qui te préféraient avec tes airs rive gauche, mal embouché, certes, mais acceptable, couplet-refrain-couplet, n'est-ce pas assez poétique ? alors que là, non, il exagère le vieux, la traversée hauturière, les diatribes interminables, et cette pluie toujours des mots qui ruisselle on en a ras la tronche, au secours ! au secours ! les eaux montent...
ceux qui tour à tour te reprochèrent les orchestrations symphoniques et ton groupe de rock, ah ! la musique, Ludwig, t'es sourdingue ou quoi ? et de quoi il se mêle, pour qui il se prend, ce mec, alors que tu étais parti de l'autre côté des phrases, de l'autre côté des notes,

ni vu ni connu,
rien dans les mains, rien dans les poches, - vous n'avez rien à déclarer ?
- non
- comment vous nommez-vous ?
- Karl Marx
- allez, passez ...

ceux qui firent la fine bouche, qui considérèrent que trop c'est trop,
et les autres,
les pleutres, les esthètes, les petits révolutionnaires avec le pognon de maman-papa, qui finiraient au Monde ou à Libé, au gouvernement ou à l'écurie, à droite, à gauche, au centre, à la soupe, au clandé,
c'est ta faute, Léo, ta faute si dans l'avion tout à l'heure il a plu du jasmin,
il pleut, il pleut sans cesse de Paris à New York en passant par Marseille, il pleut des cordes, des salamandres, des hallebardes,
je suis là, je te suis, tu me plies, tu me roules, qui donc réparera l'âme des amants tristes ? "

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