"La mémoire et le temps" de Jacques Layani

(Extrait)
Léo Ferré - La mémoire et le temps de Jacques Layani

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"Il a eu trois compagnes. Il a eu des bêtes, des châteaux, des maisons, des amis, qui sont partis et d'autres qui restent. Il a écrit de la musique, des poèmes, des chansons, une symphonie, un opéra, un feuilleton lyrique, un oratorio, un roman, des recueils, deux concertos, des préfaces, des musiques de films, des pièces, des textes ici et là, il a fait de l'imprimerie, dirigé des orchestres, écrit des orchestrations, bien d'autres choses encore. Il a aidé-aimé des hommes, des femmes, des animaux, des lieux, fait le clown sur des planches, usé des pianos, fait rire, pleurer, été applaudi, insulté, loué, descendu, tiré comme un oiseau. Il a défendu des causes, des journaux, des hommes, conduit des voitures, dormi dans des lits, mangé, bu. On lui a reproché sa manière de chanter, ses textes vulgaires et ses textes trop "savants", sa musique en argot et son orchestre symphonique, sa gouaille et son esthétisme, ses licences et ses vers trop stricts, ses idées et son argent, sa gueulante et sa timidité, son athéisme et ses airs de prophète, ses cheveux courts et ses cheveux longs, ses animaux et ses enfants, son seul pianiste et ses bandes enregistrées, sa réserve et son cabotinage, sa violence verbale et ses silences, son engagement et son individualisme, sa sincérité et son cinéma, sa méchanceté et ses larmes télévisées. Au bout du compte, c'est un homme .....Mais un homme public. Aussi, on fouille, on étiquette, on juge. Au-delà de cela, il demeure ouvert, capable des pires colères et des plus folles tendresses. Nous sommes encore assez nombreux à l'en remercier.

Il a coupé toutes ses amarres pour aussitôt s'en inventer d'autres immédiatement transmuées par l'amour, cette chose de soie et de satin qui fait que les chaînes n'en sont plus. Le seul luxe véritable qui soit le sien, c'est sa totale indépendance, qui demeure bien sûr ce qu'il y a de plus onéreux, qu'il défendra avec juste raison jusqu'au bout.

Aux cabarets de la détresse et du découragement ont succédé les salles multiples des triomphes. Aux pantalons-fuseaux et aux chaussures de montagne ont succédé costume de velours noir et foulard rouge, costume sans foulard, chemise et pantalon.... Que sont des habits de scène, sinon des fleurs de saltimbanque ?

L'important, c'est cet homme qui est dedans avec son coeur qui braille, ses petits yeux qui clignent aux lumières et l'espoir qui s'allume Au bout d'un vers français brillant comme une larme."

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