Léo Ferré - Pépée, La part sauvage de léo ferré

Pépée
La part sauvage de léo ferré



"Je plonge notre couple en enfer" (1)
Voilà comment Madeleine résumait la situation à Perdrigal en 1965 face à son microphone.
Léo lui répondit plus tard en écho :
"Pépée, c'était ce chimpanzé qui me tenait debout dans ton enfer "  (2)

En 1964, déjà, Madeleine, encore à son microphone :
"Je trouve que Léo a l'air triste, les yeux cernés, souvent. Comme il me regarde ! Je dois le faire souffrir. "  (3)

En lisant tout cela, il ne peut plus y avoir de doute possible : les larmes de Léo dans l'émission "Discorama "  de Denise Glaser, enregistrée en mars 1965 et diffusée en avril 1965, ne sont pas des larmes de bonheur mais au contraire un immense chagrin qu'il a beaucoup de peine à contenir. Il faudra plusieurs essais infructueux avant qu'il ne se ressaisisse.

C'est pourtant avec cet extrait audio en fond sonore, très pénible à entendre, que l'auteur nous présente son livre lors d'un concert dessiné.
Lentement,le dessin prend forme :
Léo, cheveux au vent, Madeleine à ses côtés, Annie à cheval sur Arkel, Pépée en arrière qui les regarde et Perdrigal en fond.
Nous ne pouvons que constater des erreurs :
À cette époque, Léo n'avait pas les cheveux longs, le chien Arkel était mort et Annie, n'étant plus une petite fille, ne vivait pas à Perdrigal.
Ces dessins bucoliques et l'extrait du "Discorama" n'ont qu'un seul but : montrer que Léo était heureux avec sa "famille" et que Pépée a tout détruit.

Après cette entrée en matière qui, le moins qu'on puisse dire, est tendancieuse, nous ouvrons le livre et là, changement de programme : 
le dessin qui défile sous nos yeux à longueur de pages ne correspond en rien à ce que nous avons vu dans le concert dessiné. En effet, le dessin de la présentation est soigné, alors que la bande dessinée, elle, est cauchemardesque.
Ce n'est pas tout.
Romuald Giulivo s'est servi de Pépée pour dire tout le mal qu'il pensait de Léo.
Les mensonges proférés nous forcent à réagir.

Premièrement, c'est Madeleine qui a voulu prendre Pépée comme on peut le lire dans le livre de sa fille, Annie :
"Maman, se mit à pouponner, à biberonner. " 
.../...
"Lorsque je les ai rejoints une fin de semaine, à Nonancourt, je trouvai mon beau-père, venu me chercher à la gare, étrangement muet et renfrogné. Je le questionnai avec insistance. Il éclata : "Ta mère exagère, ce chimpanzé est devenu une véritable obsession. Elle doit faire un complexe maternel. Je ne suis pas d'accord, mais pas d'accord du tout." (4)

Son complexe maternel vient du fait que Madeleine ne pouvait plus avoir d'enfant car elle s'était fait ligaturer les trompes avant de rencontrer Léo. Elle mentit à son mari en lui faisant croire que c'était lui qui était stérile.
Sa lettre envoyée au courrier des lecteurs du Nouvel Observateur en réponse à un article concernant son divorce en fait foi  : 
"Entre autres "révélations" j'apprends, hélas non sans sourire, que je serais devenue stérile à une certaine époque de ma vie. Il s'agit d'une affirmation pour le moins curieuse venant de l'homme avec qui l'on a vécu dix-huit ans et qui lui l'a toujours été..."
Malheureusement pour elle, la vie s'est chargée de rétablir la vérité en le faisant père de trois enfants.

Deuxièmement, c'est Madeleine qui a acheté "la ménagerie".
Voici ses mots, toujours à son microphone :
"Marie-Christine, Nicole et moi, nous allons à Gourdon, peut-être essayer d'acheter le poney-joujou, le nouveau-né -deux mois et demi- mais, pour moi surtout, avec une horrible tendresse, j'essayerai de voir le "chimpangé " , comme dit la dame, le "chimpangé" qui arrive à deux heures. J'ai préparé oranges, jus de fruit, bananes et bonbons.
Quel âge a-t-il ?
Sept ans
Il est méchant ?
Oui, on le fait pas travailler...
J'ai parlé de Pépée...
Léo à table :
Je t'interdis de l'acheter, sinon je m'en vais. Non, non, je ne veux pas, hein ? Je ne veux pas le voir. " (5)

Et troisièmement, Léo n'a pas abandonné Madeleine et Annie à Perdrigal.
Annie était à Paris pour ses études.
Elle raconte dans son livre l'échange qu'elle a eu avec Léo le 23 mars 1968 : 
"À la suite d'une violente dispute, toujours au sujet de Pépée, Léo partit seul à Elbeuf pour un gala. Prévenue de cet affrontement plus brutal que de coutume, très inquiète, je rejoignis mon beau-père. Avant d'entrer en scène, il me confia que la vie était impossible avec tous ces animaux, qu'il n'en pouvait plus, qu'il ne trouvait pas de solution, que Pépée s'était blessée et que ma mère était devenue invivable.
.../...
Il lui téléphona devant moi. Elle l'agressa. Il hésitait à revenir à Perdrigal. Nous restâmes très tard à discuter. Je tentai de le convaincre de rentrer, n'étant pas tellement sûre moi-même qu'elle l'accueillerait les bras ouverts. "  (6)

La vie à Perdrigal était un enfer, et ce n'est la faute ni de Léo ni de Pépée.
Léo fut privé de paternité à cause de sa femme qui, pour remplacer l'enfant qu'elle ne pouvait lui donner, prit un petit chimpanzé.

Il l'aima comme son enfant.

Qui pourrait l'en blâmer ?

SCL

1-3-5 :Les mémoires d'un magnétophone, Madeleine Ferré, Perdrigal 1967
2 :"Essai sur le mariage" - Les chants de la fureur, Léo Ferré, éditions Gallimard 2013
4-6 : Comment voulez-vous que j'oublie ? Annie Butor, éditions Phébus 2013

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