Léo Ferré - Vous savez qui je suis maintenant (2)

"La musique me prend comme la mer... Ca, c'est vraiment lui ! Et ça m'a fait plaisir qu'il ait pu écrire une poésie pareille, parce qu'il devait aimer la musique. A ce moment-là, les gens qui aimaient la musique comme Baudelaire, où écoutaient-ils de la musique ? Comment faisaient-ils ? Aujourd'hui, on est des princes de l'écoute. Lui, il allait où ? Quelle radio il allumait ? Qu'est-ce qu'il faisait Baudelaire ? ... La musique, il l'inventait dans ses paroles, dans son style et dans ses alexandrins, et c'était ça la musique de Baudelaire. Il aurait voulu connaître la musique et je pense qu'il ne l'a pas connue très bien. Parce que les gens, qui à ce moment-là écoutaient de la musique... Les gens qui écoutaient Mozart ou Beethoven, avant Baudelaire, bien sûr, ils allaient dans des concerts organisés par des seigneurs. S'il n'y avait pas eu les seigneurs, on ne connaîtrait ni Mozart, ni Beethoven. Baudelaire a souffert beaucoup, je pense, et c'est tellement loin tout ça. On n'a pas connu. On sait des choses... Il a écrit des choses, mais il a sûrement souffert ! Et dans quelles conditions il a souffert ? Je ne sais pas, mais il avait cette reviviscence de la poésie qu'il écrivait et ça, ça arrangeait tout chez lui, je crois. Mais je ne sais pas dans quelles conditions il a souffert. Moi, je ne voudrais pas rentrer dans sa vie de souffrance, ça me ferait trop de peine. Alors, je ne pense jamais à ça. Les gens qui écrivent sur les poètes, qui ont vécu ci, qui ont vécu ça et qui ont fait ci, et qui ont fait ça.... Un jour, j'ai lu un livre de Sartre sur Baudelaire, avec certaines vérités bien sûr, mais très méchant. C'était très méchant et il m'a convaincu un moment. Un moment, je ne pouvais plus voir Baudelaire, parce que Sartre disait que c'était ci, que c'était ça, et puis je suis revenu à mon amour de Baudelaire. Et je n'aime pas que Sartre ait parlé comme ça d'un tel poète.
Baudelaire, c'est le style des génies... Ca ne peut pas s'éxpliquer. C'est vrai, on ne peut pas dire comment il a fait, comment il n'a pas fait... Il a fait ça ! Essaie de faire la même chose, avec ce que tu penses, toi, actuellement, de trucs... Tu n'y arrrives pas, parce que tu n'as pas cette écriture, ce coeur dans la plume et dans l'encre où, de temps en temps, il plantait sûrement la plume dans le sang... Il écrivait en rouge. Mais ça, on n'a pas besoin de le savoir. C'est moi qui invente en ce moment. Mais peut-être que je n'invente pas tellement que ça. C'était peut-être vrai. Le style Baudelaire, c'est l'encre écrite, qui est le sang écrit."

Extrait de l'émission "C'est extra" - 1991 - Jean Chouquet
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