Léo Ferré, un météore

LÉO FERRÉ, UN MÉTÉORE
un texte de Marc Chatellier


Il est de certains musiciens comme la violence du reflet face au miroir.

Avec cette sensation brûlante que les notes pensées-combinée-jouées vous parlent de votre âme.

Qu’aucun défaut de la réalité n’y échappe.

Que les timbres, les sonorités et les images générées sont vifs,

Parce que diffractés à 300 001 kilomètres secondes.

Les partitions où Léo Ferré a laissé sa griffe restent comme autant d’espaces

Qui saignent de dire l’instant, comme larme du vrai.

Nous sommes tous des notes suspendues sur le clavier du temps…

Nous ne le savons pas...

Accepter de nous fondre dans les noires et blanches du piano toscan

Nous renvoie à l’humilité, aux cris gutturaux des premiers hommes.

En de tels mondes renversés les miroirs ne mentent jamais : la poésie fait le reste…

Parfois devant la peur il est plus tentant de se masquer,

De profiter du nuage opaque et poussiéreux du spectacle quotidien,

Pour éviter la rencontre avec l’ailleurs, avec l’Autre, ce double du JE

Seul au piano, à la direction d’orchestre ou sous les guitares des Zoo,

Léo Ferré ne construit pas seulement des émotions, mais des suspensions du temps.

Sortes de no-man’s land sensoriels, de transits, où le nomade est invité au festin des dieux :

Entre Dyonisos et Eros. Entre la puissance et l’envie.

Et toujours Thanathos qui traîne, qui esquisse un sourire au moment où Lucifer lève son verre.

Vous savez bien… là au fond de nos machineries internes...

Mais les miroirs sont des démiurges. Et la raison leur préfère le détour.

À la question comment vivre ?, qui a ajouté ensemble ?

D’où nous vient ce murmure incessant ?

Quelles langues, quels mots en nos corps de souffrance nous parlent à notre insu ?

Dans ma peau de chien, j’ai entendu des percussions me dire que personne ne revient jamais

intact du plongeon intérieur. J’ai égratigné mes griffes maladroites sur les lichens du silence.

J’ai vu 10 000 christs crucifiés au velours des madones.

Les racines s’affolaient et m’invitaient au voyage des secondes décomptées.

J’étais en quête de Virgile, et pourtant comme Dante je le savais secrètement :

Le passeur est en moi, en chacun de nous.

Face à la mer et son ressac une seule urgence : celle de la mobilité. Ne jamais figer son regard.

Seul le mouvement permet de ne pas sombrer dans la totale obscurité.

Écouter Les Chants de Guesclin

Fort, très fort…

La danse folle des femmes dans le feu… Vous comprendrez.

Quelques griffes or et vermeil... L’art de la formule concise et juste.

Et le courage de certains mots aux scalpels existentiels.

Tout est là. Ne parlez pas tous ensemble, vous, là, au dedans de moi ! Venez au grand jour plutôt que de marmonner. La certitude du manque, de l’incomplétude. Et ce combat terrible contre les complots intérieurs. Ceux du désir. S’affronter sans cesse aux renoncements, aux détours, aux stratégies camouflées. Ne pas se perdre, ne pas s’épuiser mais savoir que toute victoire est vaine : l’ennemi est en nous. Cela finira mal. Dans un bain de couleurs, un bain de notes vaines, certes, mais rédemptrices…

Ne plus parler de comment vivre, mais le réaliser. Avec passion, avec désordre, vivre d’une impossible fièvre. Pas celle des convenances. Simplement la densité des corps libres, des consciences sans chaînes, des sens sur aiguisés. Sur quelles notes ? André Breton s’était trompé mais il le savait… Dégueulasse ! ! !

Ressentir le vertige de celui qui cherche et cherche encore, qui fouille et refouille dans sa mémoire, sans trouver un nom. Un seul nom. Alors comme une dérisoire et unique compresse à ce douloureux et permanent voyage : l’imaginaire et son développement jusqu’à l’absurde. Qu’ils alimentent les songes et les rêves de celui qui, météore, aura traversé l’univers sonore de la poésie : Léo Ferré.

--------- Pour aller plus loin : -------------
Ce texte a été lu par Davou à la fin du Ferré Club "Words" le 12 avril 2023

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