Léo Ferré - Je vivais

Je vivais dans une sorte de malédiction confortable

Texte de Léo Ferré


Je vivais dans une sorte de malédiction confortable
Je m'étais arrangé pour ne rien laisser paraître jamais ni de mes angoisses, ni de mes envies, ni même de mes voeux les plus secrets et qui eussent risqué de me laisser en mauvaise posture devant tel ou tel de mes contempteurs. Je vivais masqué.
Je veux dire par là, cette cire commode dont on se peint le visage et, bien mieux, les sentiments, dès qu'on se sent traqué, soumis des fois, et au mieux, vaincu. L'indifférence confine à l'insouciante optique de tout ce qui peut être regardé, ou même vu de biais, en douce, en rupture de courtoisie.
Les voyous ne sont pas tous enfermés dans les prisons. C'est une idée reçue.
Il en est qui vaquent en toute tranquillité dans les salons, dans la rue, dans les ministères.
L'orgueil de ceux de ma race est trop évident pour qu'il soit nécessaire de se démasquer le moment venu. Le moment est toujours là, présent, indéniable. Je savais que je n'en sortirais jamais de cette brume visqueuse que je prenais plaisir à faire tâter autour de moi à qui voulait bien, et dont je disais qu'elle était tout mon sentiment. Je vivais. Et maintenant, je vis.

Seul.

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