
Poète ou musicien ? musicien !
par Patrice Bulting
extrait de "Cahiers d'études Léo Ferré n°5 : Muss es sein ? Es muss sein !"
Personne ne l'a vu surgir par l'entrée des artistes,
Léo est arrivé sur le plateau du théâtre Gérard Philipe ; il porte, comme souvent,
gros blouson à multiples poches, il observe le montage en cours.
D'habitude, il ne fait pas de balance, le dispositif technique
lui importe peu, tout est en place puisque le piano à queue est là.
La répétition, ses fidèles techniciens s'en chargent à sa place,
poussant la perfection jusqu'à imiter de manière troublante le
timbre de sa voix. Là, tout le monde sent que c'est très différent.
Il est arrivé tôt dans l'après-midi et, discrètement,
vérifie que tout est en ordre. La scène est encombrée
de chaises et de pupitres non encore disposés. Sur
le plateau, entre les nombreuses allées et venues
des techniciens, les premiers musiciens de
l'orchestre symphonique de Lorient
s'avisent, eux aussi, de la mise en place.
Agitation feutrée, rires et embrassades, Léo est
visiblement heureux et impatient de voir l'orchestre
réuni. Cette fois, il y aura bien une répétition, un
petit filage afin de caler l'ensemble du répertoire.
Comme Léo s'enquiert de la disposition des loges,
nous lui répondons que nous avons fait pour le mieux,
compte tenu de l'exiguïté de l'arrière-scène : trois
grandes loges collectives pour les musiciens de Lorient et une
loge pour Ferré. Très soucieux du confort des Lorientais,
il nous prend à part et nous signifie : " Alors, pas de loge
pour moi, l'ensemble des loges pour les musiciens !
Comme nous nous étonnons, il rajoute aussitôt :
"Une chaise et un miroir dans le couloir, ça ira très bien
comme ça !" De fait, c'est dans un couloir traversé de
courants d'air qu'il préféra se préparer, sous l'oeil surpris
des pompiers de service.
Je dois avouer que, de mémoire de programmateur, je n'avais jamais vu autant de modestie et de prévenance de la part d'un artiste renommé.