Léo Ferré - cahiers d'études n°8

Editorial de Luc Vidal

extrait de "Cahiers d'études Léo Ferré n°8 : La mélancolie

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"Le temps paraît couler très vite
Toutes mes joies ne sont que Folie
N'est douce que la mélancolie."
ROBERT BURTON

LA MELANCOLIE, chanson de 1964, cristallise dans l'oeuvre de Léo Ferré un grand thème présent et constant d'un bout à l'autre. Mélancolie, désespoir, nostalgie, chagrin, regret, tristesse... sont au rendez-vous des synonymes de la fuite du temps. Ferré fut attentif à la littérature des autres écrivains : Césare Pavese, poète italien (1908 - 1950) qu'il chante, Hugo, auteur de Mélancholia, Baudelaire et son Spleen de Paris, Nerval et Le Soleil noir, Vigny et la Mort du loup, Paul Verlaine et sa poésie saturnienne ont pénétré l'univers ferréen. Il conviendrait d'évoquer la Melencolia I d'Albrecht Dürer (XVIe siècle) que l'artiste connaissait intimement ou bien encore l'Anatomie de la mélancolie de l'anglais Burton(1) (XVIIe siècle) somme considérable de réflexions sur le phénomène dans la littérature occidentale.

Dans cet opus, la mélancolie est celle de l'homme quotidien. Elle communique l'impossibilité de communiquer. C'est un miroir, une mise en abîme qu'on ne peut saisir totalement. Chacun peut se retrouver dans le cinéma de Garbo, dans le drame de Hugo et de Léopoldine, dans Charlot, Chaplin, dans Léon Zitrone, ancien présentateur télé qui commentait le tiercé, son conseil fiscal, le flic qui l'engueule quelque part... Et puis évoquer la mélancolie, c'est donner la parole aux bêtes, au chat, à ce chien de plus, au singe Pépée. Ce poème-chanson est construit sur le mode de l'anaphore. "C'est " est décliné vingt-sept fois. Elle est un processus d'inspiration créatrice. le vers impair (cinq pieds) rythme l'oeuvre. Il traduit, comme chez Verlaine, le mystère et son rêve.

Deux versions chantées de cette chanson peuvent être mentionnées à nos oreilles. Celle de 1972 (récital à l'Olympia). Paul Castanier est au piano. Son accompagnement est jazzy et crée une atmosphère de contraste léger et nocturne tandis que le chanteur affirme sa mélodie. l'autre version originale musicale est signée par Jean-Michel Defaye et souligne le climat de rêverie. "La mélancolie est une fleur de mauvais temps"(2) écrivait l'artiste.

Mais cette chanson, au bout du compte est source de charme profond et de magie, une photographie de l'âme et paradoxalement, donne l'énergie de vivre. Et d'un geste et du fond de sa voix, Léo Ferré porte secours à nos problèmes de mélancolie, douce, triste ou tragique.

(1) Chez José Corti (3 vol.) traduit par B. Hoepffner et C. Goffane.
Préface de J. Staborinski, postface de J. Pigeaud.
(2) In coffret Barclay, 1989.
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