
Extrait de la préface de Léo Ferré
pour le livre
"Mes chansons des quatre saisons"
de J-R CAUSSIMON"
Comme un chêne, toujours, en plein froid.
Dans des Ardennes qui sait où, comme un voilier planqué du côté
nord, vers l'Islande, et pourquoi pas, comme un
grand chien revenu de tant et tant de courses, de tant et tant
d'hésitations devant la route à prendre, flairant de-ci de-là, traqué
des fois, toujours libre, comme un oiseau sans patrie,
sans nid, éternel migrateur, farouche, goéland de chic,
criant ses oraisons miraculeuses
et devant la marée inchangée, propre, toujours à l'heure,
revoilà Caussimon, revoilà Jean-Roger, revoilà le marin
de notre éternelle jeunesse, lui planqué
dans les Yvelines et moi tanqué en Italie.
Il est venu me voir d'un coup d'avion vers Pise,
moi le cherchant devant la gare de Florence,
lui hésitant à une descente d'autobus, sa casquette de capitaine
"comme à Ostende", sa barbe grise et inventives d'attitudes....
Il est venu, ne parlant pas ou peu, traçant les marques
de ses pas sur ma terre de Sienne et nous avons souri.
Alors il est entré dans ma maison.
Quand on dit Caussimon, on dit le verbe juste, la césure incassable,
et la rime comme un rappel de l'aventure et de l'idée
première.
Nous étions tous les deux chez Seghers, éditeur à Paris. Lui, oublié
depuis dix ans, puni par le silence des rotatives,
trahi par l'ignorance de ces proxénètes qui prétendent
mettre les livres dans la rue, mais qui s'exténuent
en incompétences et qui se retrouvent dans les "comptes
d'auteur", tranquillisants à peu de frais....
Moi, au bout d'une fidèle et attentive introduction à ce qu'il
est, à ce qu'il dit, à ce qu'il chante.
Il est toujours là, réédité, réimprimé, et je suis
là aussi, pour lui, le regardant dévider sa pelote
de chansonnier maudit.
Je suis maudit aussi, Jean Roger, et dans notre malédiction
il reste un peu de cette lassitude devant l'inutile recommencement,
devant la joie secrète aussi qui nous auréole et qui nous
fait les porteurs de lanternes montrant leur route aux innocents.
Que crèvent les phraseurs, Jean Roger!
Que naissent les chiens fidèles....