" Léo les coeurs mis à nu"


FERRE A L'OPERA-COMIQUE
(Extraits du superbe article de Guy Braucourt
paru dans Les Nouvelles Littéraires du 18.02.74.)

Un cri :

Léo Ferré - LEO LES COEURS MIS A NU

Homme seul, immense, à la mesure de lui-même et de sa solitude, Ferré de l'arène, cri modulé en forme de chanson, de poésie, de musique. Orgueil à sa juste démesure .

" la solitude est une affaire d'ordinateurs.
Moi, je me perfore loin des imbéciles et du propos courant.
On me hait. Je m'en fous. Je suis un autre mec. Voilà.
Ni Dieu ni maître ni femme ni rien ni moi ni eux. Et basta ! "

Un cri qu'il peut mêler et confondre avec le cri d'autres poètes : de Fleurs de mal en Bateau ivre et de Saison en enfer en Chanson du Mal- Aimé . Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, tous frères en malédiction et en bannissement, tous" copains d'la neuille frangins d'la nuit ", tous en quête de paradis perdus et de questions désespérées :
" Comment faire pour un être heureux comme un petit enfant candide ".. .

Chanson, poésie, musique ? Adaptation, interprétation, recréation, création ? Qu'importe.
De toute façon, " le vers est musique, le vers sans musique est littérature "
et : " les plus beaux chants de revendication. Le vers doit faire l'amour dans la tête des populations. A l'école de la poésie, on n'apprend pas, on se bat. ",
et encore : " j'avais la phrase dans les mains, comme une grenade avec l'éclatement. Eh bien je lancerai des mots, dans la foule, au hasard, et les livres ne seront plus de mise. On lancera la poésie, avec les mains, avec des caractères gutturaux - du romain de glotte - : des cris jetés comme des paquets parleurs à la face de la commodité et du confort plastifié ".

DE L'ARGENT AVEC DES IDEES


La poésie est dans la rue. La chanson est un combat quotidien, qu'il mène face à la société, poings serrés, mots menaçants d'ironie et de férocité. Lançant l'invective avant de chanter l'espoir, ou le désespoir (c'est la même chose) la haine, ou bien l'amour (c'est la même chose). Soufre et souffre, larmes devenant armes ....

" Dis donc léo, ça ne te gêne pas d'gagner de l'argent avec tes idées ? Non, ça ne me gênait pas, non plus, de n'en pas gagner avec mes idées, toujours les mêmes, il y a quelques années. Vois-tu, la différence qu'il y a entre moi et M. Ford ou M. Fiat, c'est que Ford ou Fiat envoient des ouvriers dans des usines et qu'ils font de l'argent avec eux. Moi, j'envoie mes idées dans la rue, et je fais de l'argent avec elles. Ca te gêne ? Moi, non. Et voilà ! "

Poète des " temps difficiles " qu'il ne cesse de mettre en vers et de jeter aux vers. Dans cette " épique époque " qu'il met en pièces et en pieds, qu'il déchiquette, serres et bec, mots et rythmes, tel un vieil oiseau de proie.....

Oiseau de proie, oiseau sans croix ni loi, oiseau noir au bec et plumage luisants, qui flamboie sur la converture de son dernier disque, de son plus beau disque, du plus grand disque de la chanson française (non : de la littérature-poésie-confession jamais enregistrée) : Et ...basta ! bouleversant monologue de près de 40 minutes, à la fois fleurs du mal et chansons du Mal-Aimé de notre temps. Oiseau noir comme le drapeau qu'il évoque lorsqu'il claque les mots sur la scène de sa révolte :

" On me dit anarchiste. Oui, si c'est un état d'âme, non si c'est une attitude politique ".
Une révolte qui n'a pas attendu mai 68 pour éclater et pour faire table rase : défardé de sa " gueule d'idole passée au fond de soleil " débarassé des autres et d'un personnage un peu trop mis en scène, un peu trop usagé, un peu trop pour la galerie. Et dont est né, " à la semblance du beau Phénix " d'Apollinaire, un autre Ferré tout neuf, un autre Ferré tout veuf
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L'AMOUR LA POESIE

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L'Amour, la Poésie, l'Anarchie, la Tendresse, la Révolte : toutes dimensions d'un même homme, d'une même idée, supérieure, de l'Homme.
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Tour de chant ? Plutôt concerto tout entier dédié à l'Homme contre tout ce qui le limite. Lutte de la vie contre les forces de la mort. Leçon de morale comme naguère Eluard. Cœur mis à nu comme jadis Baudelaire. Se mettre en scène c'est tout mettre en question : et Dieu et maître et femme et soi et nous et eux et l'homme, petit, qui n'est qu'un " self made dog ".
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Léo le plus grand que tous dans ce ghetto du froid business. Léo de hurlevent où ne hurlent pas les loups. Ferré au-dessus de qui il n'y a personne. Ferré derrière qui il n'y a plus rien. Comment continuer à chanter, à dire, à écouter, après lui ?

" Et...Basta! " le texte intégral.

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