LEO FERRE - FERRE 1947 - 1993 NON STOP !

"Ferré 1947 - 1993 non stop !"
par Michel Van Hamme

Extraits
cahiers d'études Léo Ferré n°3 "Ecoute-moi"


"Ferré, il paraît que vous avez des usines ?
- On vous a mal renseigné, Monsieur. Je n'ai pas "DES " usines mais "UNE" usine et elle est là, dans ma tête, il faut le dire !
Je ne suis ni Monsieur Ford, ni Monsieur Fiat."

Dont acte !

L'usine de Ferré, elle faisait les trois-huit et produisait de la poésie et de la musique, de la musique et de la poésie. Depuis... toujours et jusqu'à hier.
De la musique pour habiller ses cris d'amour et de révolte, ses coups de gueule et ses passions lyriques, sa douce et divine anarchie, son émotion devant les yeux des tout petits riboulants de tendresse, son sourire (politesse du désespoir), adressé comme une rose à la femme trop femme aux bas tirés, à la femme en devenir, fille qui tangue un air anglais. De la musique pour habiller les copains couchés sur son addition, de la musique pour habiller les amis, les camarades et les salauds aussi...

La musique de Ferré est taillée sur mesure pour habiller ses propres mots mais aussi, pour habiller les mots de ses frangins d'outre-tombe qu'il n'avait pas le droit de décevoir. Ceux-là n'auraient pas pardonné la moindre erreur.

Bien sûr, Ferré a chanté Baër, Caussimon, Aragon, mais eux, ils étaient physiquement là pour donner leur avis et dire si oui ou non le costume était à leur taille. Mais les autres, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et ceux du bout du monde, Villon le pauvre et le pauvre Rutebeuf, présents bien sûr mais à leur façon, exigeants peut-être, accoudés au piano de Ferré ... Et puis cet ange frais débarqué un matin, Guillaume le bien-aimé, le tant aimé dont Ferré ne pouvait parler sans que jaillisse une émotion terrible.

Cris d'alarme, l'alarme à l'oeil....

Tous ces poètes qui ont accompagné Ferré tout au long de sa vie. Toute la poésie plus un. Leurs vers se mêlent aux siens en une même prière dans le piano tabernacle du génie.

Maudits soient-ils !

La poésie est faite pour être chantée, elle est clameur et le véhicule qui la fait voyager de théâtres mauves en scènes drapées de noir, sous les projos violents qui usent les quinquets ; la musique qui conduit la poésie jusqu'au chevet des adolescents.

Dans cinquante ans, qui chantera Ferré ?

Il y aura bien quelques rescapés de la collective amputation du coeur et du cortex qui se planteront droits dans leurs boots, poitrine ouverte et qui offriront en bouquets d'anarchie, d'amour et de folie, les fleurs, l'oeuvre intégrale de celui qui est le plus grand poète de la seconde moitié du XXe siècle doublé d'un musicien génial et qui nous servait tout cela, fraternellement, d'une voix à nulle autre pareille.

Ferré ! La mélancolie, l'infortune, l'amour fou, les déceptions cruelles, la colère, bref, les caresses et les coups de gueule d'un artiste témoin de son temps, de notre temps, même si, comme il aimait à le dire : " Je suis là mais je ne vis pas dans le siècle".
Ferré, le lyrisme et le malheur t'allaient si bien...

Du bateau espagnol aux vieux copains de la sécu, le fleuve que tu as descendu n'a jamais été tranquille et ton visage affichait ces canaux qu'on prenait pour des pleurs. Ecorché vif, tellement doué pour le drame, tu dessinais, de tes mains blanches, dans les théâtres de nos nuits, la géographie pathétique de ton étonnant parcours : 1947 - 1993 NON STOP !

De ton signal de larmes à tes éclats de rire tumultueux, semblables à une tempête sur l'océan, semblable à une manif dispersée entre République et Nation, tu semblais condamné de toute éternité à ne jamais connaître la paix intérieure.

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