Léo Ferré - Beethoven

Léo et Ludwig


Léo et la musique, c’est une grande histoire d’amour. Quand il était petit il dirigeait des orchestres imaginaires sur les remparts à Monaco.
Sa première rencontre avec Beethoven, il l’a raconté bien souvent et écrit dans son roman « Benoit Misère ».

Une autre rencontre importante c’est le jour où il a assisté à une répétition d’Arturo Toscanini dans la loge du pompier. Toscanini l’a vu. Léo raconte :
(les extraits d’entretiens radio et télé qui vont suivre ont été rassemblés dans un recueil édité aux éditions "La mémoire et la mer" intitulé " Vous savez qui je suis maintenant ?)" :

« Il est venu me chercher, et il me dit : « Qu’est-ce que tu fais là, toi ? « (en italien) ; je lui ai dit : « Je suis venu écouter votre musique, Monsieur ». Il me dit : « No è la mia musica, vieni ! » (Ce n’est pas ma musique, viens !). Il m’a pris par la main, il m’a assis à côté de lui et il m’a dit : « Maintenant, tu vas écouter. Coriolano de Beethoven ».

Léo, en 1975 au Palais des Congrès, dans le spectacle intitulé « Toute la musique de Beethoven et Ravel à la chanson », dirigera l’ouverture de Coriolan qu’il inclurera dans son texte « Préface » après la phrase « Beethoven était sourd ».
Sur le CD « Je te donne » réédité par les éditions « la Mémoire et la Mer » en 2000, Léo dirige l’ouverture de Coriolan avec l’orchestre de la RAI.

Le texte « Ludwig » qu’il dit sur l’ouverture d’Egmont est à l’origine une commande d’un éditeur pour un projet de préface pour une réédition des Carnets intimes de Beethoven. Ce qui est raconté est vrai car ce sont des souvenirs d’enfance.
« J’étais tout jeune, j’avais quatorze ou quinze ans. J’étais en deuxième avant le bac. J’étais au collège français en Italie, à vingt kilomètres de la frontière. C’était un collège français avec les frères des écoles chrétiennes, excuse-moi de vous parler de ça ! Un jour, on était trois par trois, en promenade. Et alors, le type nous faisait signe. On pouvait parler, mais quand il fallait s’arrêter, on s’arrêtait. Vous vous rendez compte ? J’ai vécu ce moment-là ! On nous disait : « Ne parlez pas ! ». Alors on ne parlait pas. Et on a été près de la mer Méditerranée, avec pas beaucoup de sable, il y avait du gravier. J’avais écouté un jour l’ouverture d’Egmont et j’ai écouté ça, à ce moment-là et j’ai pleuré. J’ai pleuré et je me suis caché parce qu’on ne pouvait pas pleurer pour quelque chose d’interne, comme ça. On se moquait de vous. Alors on est rentré en classe et le professeur nous a dit : « Alors, aujourd’hui, qu’est-ce que vous avez fait ? » Alors moi j’ai raconté mon histoire. Et ce type, Beethoven, il l’appelait Bitoveine… Bitoveine ! Il s’est moqué de moi. C’est pour ça que j’ai écrit ça, il n’y a pas longtemps. Ca m’est revenu comme ça. C’est pour ça que j’aime Egmont et Beethoven, bien sûr ! Mais je ne désire le faire qu’avec l’orchestre. Je peux le faire avec la bande. Je l’avais fait au Cours Canada avec l’ Orchestre de Montréal. Et ça me plaisait beaucoup de faire ça. Et j’ai fait ça en pleurant parce que ça me rappelait… Je redevenais petit .»

« Je donnais ça aux musiciens et je leur disais : Si tu n’es pas Beethoven, tu ne peux pas jouer Beethoven. Le message des grands artistes est une volonté collective qui se multiplie dans la mémoire des hommes. La mort n’est qu’un fait divers. Beethoven est mort, c’est toi qui le supporte, qui le coule dans tes veines. Beethoven mort, il renaît en toi, musicien. Il est par toi. Sois Beethoven et joue, et c’est bien ! … J’avais écrit ça pour les musiciens. Et il y a la citation que j’ai retrouvée , il avait dit : Je n’écris pas seulement ce que j’aimerais le mieux, (c’est Beethoven qui parle) mais ce dont j’ai besoin, à cause de l’argent. »

« Et puis, qu’est-ce que vous voulez ? j’aime Beethoven ! Dieu sait si tout est à jouer ! Même un passage de la Grande fugue que je suis en train d’orchestrer pour grand orchestre et chœurs (qu’est-ce que je vais me faire engueuler ! Vous vous rendez compte ? Un musicien de variétés qui orchestre !) qui ressemble, en plus difficile, au final de la neuvième. Grosse fuge ! Ce qu’on appelle l’opus 133 de Beethoven."

« Critique de la musique, ha ! J’en connais un, moi, qui critique à France-soir, ce journal quotidien du soir, il s’appelle Cotte. Il était venu à la première du concert au Palais des Congrès, où je dirigeais le Coriolan de Beethoven, il a titré l’article : Ferré assassiné par Beethoven. C’est pas mal, non ? Ce à quoi j’ai dit : « Ben, moi, je suis bien fier ! Si je suis assassiné par Beethoven, je suis bien content. »

Au sujet de la chanson « Muss es sein ? Es muss sein ! » voici un extrait d’un article de Stéphane Oron « Ludwig van Ferré » paru dans les cahiers d’études Léo Ferré n°5 intitulé « Muss es sein ? Es muss sein ! » :
« Nous sommes probablement ici au cœur du questionnement de Ferré en ce début des années soixante-dix. Et, encore une fois, la vie privée de Ferré se mêle à son œuvre ; son œuvre fait écho à sa vie. C’est la période de doute. Il lui est très difficile de diriger des orchestres en public. Son désir de mettre la musique « dans la rue » se heurte à de nombreux obstacles. Il ne répond pas – ne veux pas répondre – aux attentes politiques d’une partie de son public issu des mouvements de mai 1968 qui vient perturber, à coups de crachats, de canettes de bière et de tire-fond de rails, ses spectacles.
Ferré pense arrêter la scène.
C’est dans ce contexte qu’il écrit Muss es sein ? Es muss sein !
Il est intéressant d’évoquer ici la deuxième interprétation de la signification du Muss es sein de Beethoven que donne l’article de François Parain dans lequel il est question de « ce sentiment de fatalité qui habite l’artiste devant ajourner ses projets pour assurer le quotidien ».

Ferré n’est pas Beethoven et n’a jamais prétendu l’être mais il est singulier de constater ce qui peut paraître, dans leur vie respective, sinon comme des similitudes, au moins comme des parallèles.
Au début des années soixante-dix, dans le contexte de crise évoqué plus haut, Ferré tente à nouveau de diriger sa musique, celles de Beethoven et Ravel, et trouve un producteur pour se lancer dans l’aventure. Son spectacle de 1975 s’intitule : « Toute la musique de Beethoven et Ravel à la chanson ».
"Nous c’est dans la rue qu’on la veut la Musique !
Et elle y viendra !
Et nous l’aurons la Musique !"
Il réussit cette gageure de la faire sortir des salles illuminées de Pleyel et Gaveau. Immédiatement, la presse lui reproche de ne pas être « à sa place » malgré un succès public incontestable. La variété dirige ! Elle touche à la « Grande Musique » !
Pourtant, Ferré fera souvent remarquer, avec fierté, qu’aucun chef d’orchestre n’avait rempli, comme lui, vingt-cinq jours de suite une salle de trois mille deux cents places avec le même programme. »

SCL




--------- Pour ne pas oublier : Léo et Ludwig ----------


SCL avait été contacté en 2003 par Dominique Prevot, webmaster d'un site sur Beethoven pour avoir des renseignements sur Léo Ferré. Ce texte qui est le reflet de notre réponse a été présentée dans la rubrique "Votre Beethoven". Un grand merci à Dominique pour nous avoir incité à l'écrire et pour l'avoir diffusé sur son site et un grand merci aussi à Davou pour l'avoir lu dans son émission Le Ferré Club sur Radio Libertaire.

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