
" Mon père me disait, un jour, dans la rue...", le triple album de Ferré en public commence sur le ton de la conversation, presque de la confidence. Puis le propos se fait plus dur, la voix se charge de violence, avec de vertigineuses redescentes vers le chuchotement. Le verbe oscille alors du murmure à l'emphase, de la morsure à la caresse, et l'on ressort de là, six faces plus tard, vidés, comme épuisés par une longue course, le coeur en flammes et l'esprit boxé pour le compte, trituré par mille urgences. D'une manière générale, je ne suis pas très amateur de disques en public, car, à de très rares exceptions près (cf le Dire Strait "Live"), l'émotion que peuvent partager un artiste et plusieurs centaines de personnes, ne passe pas le filtre de la rondelle de vinyle et l'on se retrouve, bêtement, tout seul devant sa chaîne, à jouer les voyeurs d'un plaisir désincarné.
Mais le ton de Ferré, plus que tout autre, se prête à ce genre d'expérience.
Son art est celui de la démesure et celle-ci n'atteint jamais, en studio,
les paroxysmes que seule permet la scène. Les longs récitatifs
prennent alors une dimension charnelle, quasi mystique, qui établit un véritable
état de communion, avec tout ce que cela implique comme idée de
partage.
Cette façon d'interpeller sans cesse l'auditeur, d'enchaîner
les monologues, comme s'il s'agissait d'improvisation permanente, ce refus de se
laisser enfermer dans le schéma du chanteur à succès
(qui le pousse, par exemple, à une interprétation particulièrement
iconoclaste d'"Avec le temps"), font que Ferré, en scène,
ne nous laisse jamais une seule seconde de répit.
C'est toujours au moment où on l'attend le moins que, bretteur habile, il touche au plus intime et ravive en brasier cette parcelle secrète d'émotion que l'on croyait inaccessible. C'est parfois un bout de phrase de rien du tout, qui vous met encore les larmes aux yeux, à la vingtième écoute. Cela peut être aussi un crachat de mépris dans la gueule de la mère Thatcher, alors que le nom même de Bobby Sands est en train de s'éteindre sournoisement dans les mémoires.
Faisant allusion à un journaliste qui l'enterrait un peu prématurément,
Ferré évoque son âge : "Il faut le dire... Comme ça on ne m'emmerdera
plus ! 67 ans. Bon Dieu, quel jus ! Quand on pense à tous ces faiseurs
de chansonnettes, soit disant "dans la force de l'âge", qui roupillent sur des
mots exsangues, et pour qui le "son" d'un disque est plus important que son contenu...
Ferré, lui, s'en balance. Quand il butte sur un mot, il ne cherche
pas à maquiller le "pain" au mixage et, quoi qu'on en dise, c'est là qu'est le véritable
respect du public.
Tout ce que j'ai pu écouter, dans la semaine qui a suivi, m'a semblé
fade et plat. Sans sève.
Car ce triple album est un monument; mais qu'on se le dise, c'est loin d'être
un monument funéraire !
Marc Robine
Paroles et Musiques ( janvier 85)
CD1 :
La chemise rouge - La vie d'artiste - Tu penses
à quoi ? - T'as d'beaux yeux tu sais ! - Le jazz band - t'es rock coco
- La vie moderne - Les artistes - La solitude/ L'invitation au voyage - L'enfance /La solitude - Java partout - A la seine
CD2 :
Marizibill - Pauvre Rutebeuf - Un jean's ou deux aujourd'hui - Monsieur mon passé - Monsieur Tout-Blanc - La porte - T'en as - Ta source - Je te donne- La mort des amants - Le tango Nicaragua - Allende - Words... Words... Words...- Le chien - Avec le temps - Le printemps des poètes
CD3 :
La nostalgie - L'adieu - La mémoire et la mer - Frères humains/L'amour n'a pas d'âge - Requiem - Thank you Satan - Graine d'ananar - La folie -Il n'y a plus rien