ET ....BASTA !

Poème de Léo Ferré
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LEO FERRE - ET...BASTA !Page 4/5

Je ne vais tout de même pas te raconter comment et pourquoi j'écris des chansons, non ?
C'est comme ça ! Ma main sur le clavier de mon piano est reliée à un fil et ça marche. Je suis "dicté". J'ai un magnétophone dans le désespoir qui me ronge et qui tourne et qui tourne et qui n'arrête pas. Alors je copie cette voix qui m'arrive de là-bas, je ne sais, qui m'arrive, en tout cas, et je la reconnais chaque fois. ça fait comme un déclic et ça se déclenche.
Je suis le porte-parole d'un monde perdu, présent pour moi, d'un monde auquel vous n'avez pas entrée parce que si tu y entres, dans ce monde, tu perds pied et deviens inédit. Ton foie, tes poumons, ton sexe, tout ça est à toi.
Ta tête, non. Si tu es fou, alors viens dans mes bras. Je t'aime.








68 68 68 68 68

Il y a des chiffres qui me font mal à mon dicteur. 68... Il s'en fout mon dicteur, il le connaît ce chiffre. Il l'a fait, comme on fait une partie de cartes. Les cartes, aujourd'hui, sont mêlées. Il n'y a plus rien qu'une certaine forme de dictature sentimentale qui vous arrange et qui vous endort pendant que les Autres veillent.
Vous êtes vraiment des cons et des malheureux. Ou bien alors, crève, paysan, crève et passe de l'autre côté de la rue, avec tes dieux, avec tes maîtres, avec tes pantoufles et tes clopes...

68 68 68 68 Madame la Misère... Misère c'était le nom de ma chienne qui n'avait que trois pattes... Ton style, c'est ton cul, et oui... quand il a du style ! ça ne dure pas longtemps. Un cul, ça ne se met pas au musée des Offices. Un cul ça se renfrogne et ça se cache un jour ou l'autre. Plutôt un jour que l'autre. Quelle connerie !

Ni dieu, ni maître, ni toi, ni eux, ni cul, ni rien

68 / 73 NON STOP

Je suis d'un autre monde et tu le savais bien
O toi qui tant et tant me regardais et m'écoutais
Tu m'apportes le fait d'un instant de malheur
Je drisse tout à coup avec ma peine en l'air
Vas-y petit les oiseaux s'en vont de côté cet hiver

68 /73 NON STOP

La vie d'artiste... C'est dur de ne pas être, hein ?
Il y avait vraiment de quoi
ça a commencé pour rien, en trombe, Rue des écoles et à la Maube
Understand ?
Les drapeaux noirs et les aminches et l'été 68 et puis les anarchistes
Où ça ?

LEO FERRE - ET...BASTA !Page 4/5

Les purées de Nanterre et la purée des anges
Tu l'envoies, ta purée ?
Je signe dès ce jour avec mon double crème
Je vivais dans l'ardeur de notre connerie
La très haute la très grande
Et je suis seul ce soir devant le ciel brouillé
NON STOP avec des bulles dans ma tête

C'est difficile à raconter ce genre de bulles, même pas au neuro...
Vous n'avez rien compris ni toi ni lui ni eux
Ni rien
Understand ?
Quand je pense que je pensais à vous comme à une épure de chantoung
Cette soie je la pressens toujours comme un destin pavé
Vous étiez de cette intelligence sûre
Et qui se connaît bien
Et qui drague la nuit les grands auteurs
Pour être sûre d'être orthodoxe
Les mains... Ah ! les mains...
ça me fait peur ces mains tendues et renfrognées et biaiseuses
Vous aviez les mains gercées de rancœur
De cette rancœur qu'on promène tranquillement
Sans rien devoir à personne
Avec ces fautes de parler et de syntaxe qui me sont devenues insupportables
Et puis cette culture qui débordait de vos calepins
Oublie-donc Camarade oublie les soirs épais comme l'encre de Chine
Oublie les yeux drivés par le regard là-bas
Drive-toi pénardement dans les horribles banlieues où tout est bien
Où l'avenir est aux pointés pointeurs
Arrache-toi doucement à la musique d'acier de ce Paris
Qui vous manque dès que vous le déjugez
Vous n'êtes que des Parisiens
Des Parisiens

68 / 73 NON STOP

Le grand drame des solitaires c'est qu'ils s'arrangent toujours Qu'est-ce que j'en ai marre pour ne pas être seuls.
Je l'ai dit
Je l'ai écrit
Je le redis
Je le réécris
Maintenant je fais gaffe.
Je paie des gens pour les besognes élémentaires et ne mange plus avec eux
J'ai gardé ma première facture de restaurant. Tu parles! où j'ai mangé tout seul
Combien ?
cet été
Je l'ai mise sous verre et la montre à mon fils non non non qui a trois ans et trois mois
je la lui montre tous les jours
C'est la gravure de mon 68 à moi. On a les 68 qu'on peut
Quand les gens se mettent à avoir une comptabilité derrière les yeux ils deviennent des comptables !

LEO FERRE - ET...BASTA !Page 4/5 Qu'est-ce que je fais ici, à cette heure, attendant je ne sais quelle sonnerie de téléphone me rendant une voix, quelque part, quelque chose de fraternel, d'insoumis, de propre, de comme ça pour le plaisir, de rien, de larmes j'en ai trop en veux-tu ? de quoi, enfin ? Penses-tu ! Le silence, lui, ne téléphone jamais, et c'est bien comme ça, c'est bien.







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